Une cérémonie d'hommage à Pierre Duchet a eu lieu samedi 16 février 2019
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Matinée en compagnie de sa famille et de ses amis proches à l'École Normale Supérieure
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Après-midi en compagnie des mathématiciens et de MATh.en.JEANS à l'Institut Henri Poincaré
Programme de l'après-midi :
– Les travaux mathématiques de Pierre Duchet, par Frédéric Meunier, professeur de mathématiques à l’École Nationale des Ponts et Chaussées
– Film de Philippe d'Ovidio sur la première année de MATh.en.JEANS, avec Pierre Duchet
– Pierre Duchet et l’aventure MeJ, par Pierre Audin, professseur de mathématiques retraité du Palais de la découverte
– Témoignages de :
- Adrien Fryc (MeJ)
- François Gaudel (Science Ouverte et MeJ)
- François Parreau (MeJ)
- Martin Andler (Animath) pour 10 à 15 minutes
- Joëlle Richard (MeJ)
- Victor Chepoi (math)
- Édouard Thomas (math et Tangente)
- Antoine Taveneaux
Voici le texte d'Édouard Thomas suivi d'autres témoignages qui nous sont parvenus mais qui, faute de temps, n'ont pu être lus lors de la cérémonie.
Édouard Thomas
Je suis mathématicien, secrétaire de rédaction du magazine Tangente. J’ai eu la chance de rencontrer Pierre Duchet alors que je débutais ma carrière de journaliste scientifique.
J’ai immensément appris à son contact. Je pourrais en particulier parler longuement : de la minutie avec laquelle Pierre cherchait la tournure de phrase qui synthétiserait le mieux sa pensée ; de sa détermination à répondre honnêtement à une question difficile ; de son exigence à restituer le contexte ou la formulation précise d’un énoncé mathématique ; de l’attention qu’il portait à la traduction d’un anglicisme en bon français. Autant de thèmes qui me sont chers.
À l’occasion d’un hors-série sur le thème des mathématiques discrètes, j’ai ainsi passé pas moins de cinq heures d’affilée en entretien avec Pierre, entre 10 h et 15 h, dans les locaux de Chevaleret, fin avril ou début mai 2010, quelques jours ou même quelques heures avant que les chercheurs et les enseignants ne réintègrent leurs bureaux sur le campus de Jussieu.
J’étais affamé, moi qui ne déjeune pas le matin. Pierre, lui, semblait ne pas prendre de pause le midi. Il est resté imperturbablement focalisé sur le sujet de l’entretien, l’histoire et les enjeux de la combinatoire. À son contact, concentré malgré mes crampes d’estomac, je découvrais un monde dont j’ignorais tout, moi qui me targuais pourtant d’un certain encyclopédisme mathématique. Pour la première fois, j’entendais parler de matroïdes et de configurations (ou designs). Le débit était rapide et souvent elliptique, mais toujours précis et rigoureux. Exigent, mon interlocuteur s’assurait régulièrement que je saisissais bien les grandes problématiques, qu’il égrainait les unes après les autres.
De nombreux échanges constructifs de courriers électroniques ont suivi cet entretien, m’obligeant plusieurs fois à revoir en profondeur ma copie… alors même que j’étais mobilisé plus que de raison à l’occasion du Salon de la culture et des jeux mathématiques qu’organise chaque année le Comité international des jeux mathématiques… et alors que je devais finaliser et envoyer de toute urgence mon dernier article de recherche pour un important congrès international. Ces trois semaines de ma vie furent particulièrement épiques, mais riches d’enseignements. J’en garde définitivement un souvenir mêlé d’émerveillement, d’excitation, de grande satisfaction et d’une pointe de fierté personnelle. Avec Pierre, je m’ouvre véritablement à la combinatoire.
Le résultat de cet entretien fleuve est désormais disponible en ligne sur le site du journal, à cette adresse : http://www.tangente-mag.com/article.php?id=4268
L’article a paru sous forme papier dans l’ouvrage collectif Mathématiques discrètes et Combinatoire, POLE, Bibliothèque Tangente 39, 2010, pages 126 à 134. C’est avec grand plaisir que j’ai offert à Anton le dernier exemplaire qu’il me reste de cet ouvrage. Le lien de la version en ligne est stable et restera librement accessible à toutes et à tous aussi longtemps que possible, en souvenir de Pierre, qui était un grand ami de la Rédaction du journal.
L’enthousiasme de Pierre était sincère et communicatif : je l’ai toujours connu « partant » pour s’embarquer dans une question de combinatoire, de géométrie ou de maths discrètes avec le premier venu, amateur ou expert. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un œil au cliché publié dans le numéro 185 du journal, qui reste à ce jour l’une de mes meilleures photographies. Nous sommes toujours en 2010, mais en octobre, à l’occasion des Journées nationales de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public. L’APMEP célébrait ses 100 ans au lycée Louis-le-Grand à Paris. On y voit le « graveur d’équations » autodidacte en mathématiques Patrice Jeener présenter sa dernière œuvre à Pierre, qui immédiatement s’émerveille devant les trésors d’imagination que développe l’artiste qui s’échine à représenter, sur le plan de la feuille, des surfaces qui vivent dans des espaces inaccessibles à nos sens.
Au fil des années, Pierre est devenu un ami. Nous continuions à le croiser sur le Salon de la culture et des jeux mathématiques. Même s’il me semblait alors en retrait de la communauté des chercheurs, il restait intéressé par la combinatoire. Il me promettait régulièrement, dans le grand sourire qui lui était coutumier et de sa belle voix, de venir nous rendre visite à l’occasion d’un Kafemath (association, dont je suis membre, qui organise chaque mois des causeries mathématiques dans un petit café du douzième arrondissement de la capitale). Nous évoquions la possibilité qu’il vienne nous entretenir de l’un de ses sujets fétiches. Je suis convaincu que le format lui aurait plu, qu’il aurait apprécié l’ambiance, la bonne humeur, et qu’il aurait pris grand plaisir à venir retrouver régulièrement le groupe de joyeux matheux foutraques que nous formons !
Malheureusement, cela ne s’est jamais concrétisé ; je continuais cependant à lui rappeler régulièrement que la porte du Kafemath lui était grand ouverte.
C’est avec un choc immense que j’ai appris la mort de celui qui, au hasard d’un calendrier éditorial, m’a mis un pied à l’étrier professionnel en s’engageant complètement dans l’une de mes premières missions d’envergure. Merci, Pierre. Puissions-nous œuvrer tous pour continuer ton travail et faire perdurer ton engagement au service de la culture mathématique pour tous.
Merci aux organisateurs pour m’avoir permis de prendre la parole aujourd’hui.
Kadir Erdoğan (Université Anadolu, Turquie)
Pierre était mon directeur de thèse en didactique des mathématiques que j’ai soutenue en 2006. Ça fait maintenant plus de 12 ans mais je me souviens parfaitement de nos rendez-vous de thèse au premier étage à Chevalleret. On passait des heures à travailler et à discuter.
Pierre était passionné par les maths, c’est sûr, mais il était aussi passionné par les apprentissages des mathématiques. Je ne peux pas exprimer ici tout ce qu’il m’a appris et transmis comme directeur de thèse mais le plus important pour moi est sans doute le fait qu’il m’a appris qu’on devait oser à se poser des questions en mathématiques, même à propos des choses que l’on croit parfaitement maitrisées. Je vois maintenant combien cette posture épistémique est précieuse pour un chercheur en didactique et combien il est précieux, pour un directeur de thèse, de pouvoir transmettre une telle posture.
Pierre était quelqu’un de franc, sans complexe ! Un jour, au séminaire national de didactique, penché sur son cahier, il prenait sérieusement des notes. Nous lui avons dit combien ces notes étaient belles avec différentes couleurs. Il nous a dit “Je note uniquement ce que je comprends, et comme je comprends très peu de choses, il n’est pas difficile pour moi de tenir de bonnes notes !”
Avec Pierre, nous avons introduit le concept de “site mathématique” en didactique et j’espère bien que son souvenir continuera de vivre avec des recherches et des thèses qui vont se servir de ce concept, probablement des milliers de kilomètres de loin du lieu où il repose.
Et une dernière chose, très récemment nous avons conçu l’introduction de la théorie des graphes aux programmes officiels de mathématiques pour les élèves précoces en Turquie. J’aurais bien voulu lui en parler et discuter de ce qu’il en pense. Mais malheureusement je pourrais maintenant seulement imaginer le contentement sur son visage…
Je présente mes condoléances les plus sincères à sa famille et à ses collègues. Qu’il repose en paix.
Myriam Preissmann et András Sebő (CNRS Grenoble)
Pierre était d'abord un pont efficace entre Grenoble et Paris pour transmettre les résultats de recherche en combinatoire. Par la suite il est devenu une personnalité importante à Grenoble où il a dirigé le laboratoire LSD2. Plusieurs sujets communs comme celui des graphes parfaits liaient Grenoble et Paris, et Pierre Duchet a eu des résultats très appréciés dans ce domaine. Il nous laisse le souvenir d'une personne chaleureuse avec qui il était intéressant de discuter, et même polémiquer. Nous sommes très attristés par la nouvelle de son décès, et nous souhaitons témoigner notre sympathie à ses proches.
Murièle Jacquier (MATh.en.JEANS)
Je n’ai rencontré Pierre Duchet qu’une seule fois lors de l’Université d’été MATh.en.JEANS de 2015 à Bramans. Même si cela a été bref, je me souviens d’une personne dynamique, très chaleureuse et pleinement investie pour développer le goût des mathématiques.
Il a été “mon chercheur” lors du ‘Math.en.Jeans grandeur nature’ et cette soirée mémorable qui s’est poursuivie jusqu’au petit matin restera à jamais gravée dans ma mémoire : les discussions animées, les tentatives plus ou moins fructueuses de résolution, ponctuées de fous-rire ont été une vraie bouffée d’oxygène et m’ont redonné une réelle motivation dans mon métier d’enseignante.
Charles Payan (CNRS Grenoble)
Tu es parti comme ça, Pierre...
Sans qu'on ait eu le temps de se dire au revoir.
Peut-être un rêve – un cauchemar, incompréhensible au réveil.
On ne sait plus si c'est vrai.
Tu t'es peut-être simplement comme avant envolé à l'intérieur de tes pensées.
Et les souvenirs reviennent : ce cahier – noir, je crois – où tu notais tellement de choses.
Je me souviens aussi : un congrès MeJ. Nous deux au tableau noir, ou peut-être vert, devant les élèves participants : nous nous confrontions à un problème de recherche.
Et ces soirées – très tard, chez toi à Paris, chez nous à Grenoble.
Et maintenant....
Seul le silence.
Et peut-être, même si nous n'y croyons plus ni l'un ni l'autre :
Pierre, …. à plus !
Charles
Éric Pite
En 1995, alors étudiant en 2e année à Télécom ParisTech, et armé de la maitrise de maths de Paris 6 (en télé-enseignement), je décide de m’inscrire (en télé-enseignement) en DEA et de prendre un cours de maths discrètes et un de théorie des nombres (M. Waldschmidt).
Mon emploi du temps à Télécom me donnait la flexibilité de venir aux cours et jai découvert une autre façon de faire de maths. La passion de Pierre devint rapidement contagieuse et sa vision d’une géométrie discrète m’a laissée une empreinte pour toujours.
Je choisis de faire mon mémoire de DEA avec Pierre sur la conjecture de Berge-Duchet pour les graphes parfaits (cette conjecture était encore ouverte). Je ne l’ai pas résolue, mais elle le fut peu de temps après (par d’autres !).
Un beau jour, Pierre me présente un de ces thésards (Olivier Bodini) et on parle de ce qui deviendra plus tard l’article "Autour d'un théorème d'Erdős sur les combinaisons à coefficients + ou -1 des premiers carrés” dans la RMS.
Un autre jour, il évoque un sujet qui lui trottait dans la tête : “Ce serait bien si tu prenais le(s) livre(s) d’Alexandroff et transposait ses théories au discret, il doit y avoir de belles choses à faire”.
Ensuite j’ai eu mon diplôme de Télécom et mon DEA de maths de Paris 6, jai choisi de travailler dans l’industrie.
J'ai quitté la France il y a 20 ans, Angleterre, Hollande puis Etats-Unis (et un enfant dans chaque pays). Mon amour des maths est toujours present. J'ai démarré un club de maths pour enfants de 9-11 ans puis un pour les 12-14 ans à Cambridge (MA, USA). Un des cours/activité que j’ai fait est une introduction à la théorie des graphes. C’est peu de choses par rapport à ce que Pierre a fait avec Math.en.Jeans mais son influence est visible.
Pierre, merci pour tout. Tu vas nous manquer.
Éric
Robin Jamet (Palais de la Découverte)
J'ai connu Pierre (Duchet) par Pierre (Audin). Petit jeune débarquant dans le milieu de la vulgarisation mathématique, j'étais très impressionné par les deux, et notamment par le fait qu'ils avaient créé Maths en Jeans, association que j'ai découverte en animant des ateliers à Bobigny et que je trouvais absolument géniale.
Mais Pierre m'a vite appris qu'on pouvait être mathématicien professionnel, impressionnant, et s'interroger très sérieusement sur le nombre de trous (pardon, de creux) d'une balle de golf. Ou encore avoir des discussions à en rater sa station pour comprendre des notions de topologie, en prenant ce qui nous passe sous la main, par exemple la barre de métro, pour appuyer son propos. Et surtout, qu'on pouvait avoir fait tout ce travail en étant visiblement aussi mal organisé et enclin à la procrastination que moi. Et ça, ça ouvre des perspectives !
Mon souvenir le plus marquant remonte à Berder, la première université d'été de Maths en Jeans. Avec quelques autres, on était allé boire un coup au café d'en face en profitant de la marée basse. Il devait faire une conférence le lendemain, et n'était pas prêt. Et puis il avait oublié son matériel. Mais la nuit était longue, et il était confiant, il savait qu'il trouverait des solutions...
Le lendemain, il nous présenta donc un sujet de recherche en l'illustrant avec des petits cailloux et bouts de bois ramassés de nuit, sous la pluie, à une heure du matin. Et avec l'air un peu fatigué quand même.
Je ne suis pas là aujourd'hui, et le regrette pour deux raisons : évidemment, ne pas être avec vous en ce moment important, mais aussi ne pas pouvoir parler en direct, pour ajouter à ce texte la part d'improvisation que Pierre mettait dans toutes ses interventions, et qui leur donnaient la vie, l'intensité, l'humour, cette impression de communication directe, sans artifice, que je tente de mettre dans tout ce que je fais aujourd'hui. Par exemple dans l'exposé que je dois être en train de faire en ce moment même.
Une grande pensée pour vous tous.
Stéphane Fischler (Orsay)
En pensant à Pierre Duchet, je me souviens surtout de sa gentillesse et de sa constante bienveillance. Mais je voudrais principalement évoquer Math.en.Jeans, qu’il a créé avec Pierre Audin.
J’ai découvert ce concept par hasard, quand j’étais en Seconde, en 1992. En visitant le Palais de la Découverte, je suis tombé sur les panneaux du congrès Math.en.Jeans qui y avait eu lieu cette année-là. Je me suis tout de suite dit que j’adorerais participer à des ateliers de ce type, et par chance cela s’est concrétisé. Mais c’est surtout la première fois que j’ai compris qu’on peut être mathématicien. J’ai découvert ce métier grâce à Math en Jeans, à travers Pierre Duchet et les chercheurs qui ont encadré mon jumelage, Gilles Godefroy et Alain Pajor. Math en Jeans a évidemment joué un rôle important dans mon désir, finalement réalisé, de devenir chercheur en maths. Et c’est avec plaisir que j’ai pu ensuite encadrer, comme chercheur, des jumelages.
Je suis heureux de voir qu’aujourd’hui Math en Jeans s’est énormément développé, et a acquis une grande notoriété, sans rien changer aux principes d’origine. Cela montre à quel point le concept a été bien pensé dès le début.
Et le texte de l'intervention d'Adrien Fryc (MATh.en.JEANS, ancien trésorier)
Nous voici réunis ce jour pour célébrer la mémoire de notre ami Pierre DUCHET, trop tôt disparu.
Je me rappelle de ce début, où professeur de mathématiques au Collège Jean Vilar à Villetaneuse, François Gaudel est venu me proposer de participer aux activités de MeJ, ce fut en 1995. Une réunion pleine d’avenir puisque quelques temps après, une réunion de cadrage à l’Université Paris 13 Villetaneuse avec François Parreau qui gérait à ce moment là un club mathématiques et bien sûr François Gaudel était programmé à ce sujet.
Ayant fini de me persuader d’apporter mon concours, d’adhérer, une première rencontre avec Pierre Duchet eut lieu dans son appartement au 48bis rue Custine à Paris. L’on était en pleine recherche d’un trésorier pour succéder à Charles Payan, chercheur en mathématiques discrètes, artiste peintre qui alors travaillait à Grenoble, où justement Pierre Duchet avait son labo de maths à cette époque. C’est lui qui a dessiné le logo et l’affiche utilisés de nombreuses années par MeJ. J’acceptai donc cette proposition sans savoir que l’aventure allait se révéler extraordinaire et d’une durée on ne peut plus importante. Ainsi débuta ma participation collaborative tout en animant avec le peu de moyens qui étaient les miens un atelier de recherche au sein de ce même établissement.
Pierre Duchet en a été longtemps le chercheur référent, œuvrant sur des sujets de recherche en pointe, sujets ouverts ou fermés, peu importaient pour les élèves, qui découvraient la puissance des mathématiques hors le contexte bien connu des programmes scolaires. Sa capacité d’écoute, d’analyse, de conseil, sa bienveillance, ont mis sur la voie nombre de chercheurs « en herbe » qui allaient présenter le fruit de leurs travail lors de congrès MeJ organisés par l’association. Le premier pour ce qui me concernait en temps que partie prenante le fut à Villetaneuse avec François Parreau comme chef d’orchestre organisateur. Lors de ces rencontres, je retrouvai un Pierre Duchet dans la plénitude de son action. Un simple carnet, un crayon lui suffisaient pour placer un point énigmatique sur la feuille vierge et ne demandait juste qu’à être explicité. Il faut l’avouer, il y avait de sa part une certaine jubilation. Une joie certaine, partagée émanait de lui, alors que sous son instigation, les performances des « jeunes congressistes » lui donnaient encore plus de poids dans l’œuvre qui s’accomplissait devant nous au fur et à mesure des années. Les sujets traités en sont les témoins écrits, actes lus par le comité de lecture, vérifiés par le comité scientifique puis publiés suite à de nombreux congrès.
Nous étions fiers de le côtoyer, de travailler avec lui. Une rigueur scientifique qui n’a jamais été prise en défaut a fait de MeJ une référence, avec ses collègues et amis fondateurs, Pierre Audin, René Veillet. Ils ont été rejoints par la suite par, Joëlle Richard. Ils partageaient tous ces convictions fortes de faire des mathématiques autrement et s’étaient engagés dans cette aventure pédagogique nouvelle et il faut bien le dire novatrice à tous points de vues.
Je me souviens aussi de ces CA et AG où les idées étaient défendues avec ténacité, les échanges longs et fructueux entre les participants, je me souviens aussi de tous les membres du bureau qui ont poursuivi leurs tâches auprès de lui et avec lui car mus par cette création nouvelle sensationnelle et cette conviction de vivre quelque chose d’exceptionnel. A tel point que l’Éducation Nationale regardait d’un œil amusé, condescendant, l’expérience entamée à laquelle elle ne pouvait réellement croire. Mais avec le temps, Pierre a su convaincre les autorités de l’Éducation Nationale d’aider à la réalisation continuelle de cette nouveauté. Évidemment le Conseil scientifique représenté par les sommités en la matière étaient ravies de l’aubaine. Pierre jubilait à juste raison puisque l’idée ayant fait du chemin voyait une certaine consécration.
L’avenir de MeJ le souciait fort, mais il était toujours dans cette démarche positive et partagée. Pour autant, nos réunions se terminaient souvent par des agapes fort sympathiques autour d’une table conséquente et mon souvenir reste impérissable devant sa capacité à déguster délicatement mais fermement les plats les plus sophistiqués, les yeux pétillants de ces bons vins qui lui chatouillaient le palais. C’était un bonheur de le voir ainsi croquer à belles dents la vie tout simplement.
Et puis, un jour, lors d’un CA, en 2016, il nous a annoncé son départ, pour plein de raisons sans doute, nous rendant abasourdis par cette décision. Il savait que nous serions “veuf”, mais devant le succès grandissant, l’adhésion de nombre de collègues, de participants, la structure allait évoluer, nous le sentions alors, nécessaire, une gestion devenant très importante le demandait impérativement, il le savait tout comme le problème récurrent des finances revenait sans cesse sur le tapis pour pérenniser l’œuvre. Pierre n’était pas à proprement parler un « administratif », mais il se pliait aux nécessités de l’appareil naviguant dans ses pensées entre lune et soleil… Mais, dès lors, il nous a manqué, grandement, peut-être s’était-il dit que nul n’est irremplaçable et comme l’association fonctionnait sans coup férir, il était confiant en son avenir, un autre avenir…
Accédant à la retraite, directeur de recherches au CNRS qui l’a accueilli de nombreuses années, s’est séparé d’un personnage de conviction, un chercheur dont le fruit de ses recherches très importantes a couvert nombre de revues scientifiques, puis vulgarisée dans nombre d’ouvrages tant professionnels que tout public.
Dès son départ, le dialogue s’est dès lors fait plus ténu avec MeJ, voir s’est éteint de lui-même.
Sa vie partagée avec les mathématiques et MATh.en.JEANS a apporté son lot de nouveautés, son souffle dirais-je ! La didactique, la vulgarisation des mathématiques furent son maître à penser tout au long de ces années.
Dans Les Défricheurs (Belin 2008) Michaël Atiyah mathématicien britannique décédé le 11 janvier dernier, médaille Fields 1966, digressait sur la beauté de sa discipline, « lorsqu’il fait grand jour, les mathématiciens vérifient leurs équations et leurs preuves, retournant chaque pierre dans leur quête de rigueur. Mais, quand vient la nuit, que baigne la pleine lune, ils rêvent, flottant parmi les étoiles et s’émerveillent au miracle des cieux. C’est là qu’ils sont inspirés. Il n’y a sans le rêve, ni art, ni mathématiques, ni, vie ». (extrait du journal Le Monde du 19 janvier 2019, article écrit par David Larousserie).
Je dédie cette citation à laquelle j’y associe Pierre Duchet.
Alors, il partit à Mexico vivre sa vie, une autre vie à 2250 m d’altitude (et dont la somme des chiffres qui le compose est 9, soit ramené à la philologie des nombres à zéro pour toucher l’infini ou ce fameux point idyllique), Mexico dans un autre monde, mais pourtant un monde relié à ce point mathématique tant cherché qui ne l’a jamais quitté.
Alors pour toutes ces années, merci Pierre pour ce que tu nous a donné, pour ton savoir vivre, pour ton écoute sans cesse renouvelée, pour la qualité de tes interventions, pour tous les conseils et la conviction apportée à l’œuvre dont tu as été la pièce marquante à plus d’un titre.