Comptes Rendus MATh.en.JEANS 00-13
[Résumé (par les éditeurs). Reconnaître un noeud est un problème ardu, étudié en mathématiques depuis le XIXème siècle à l'aide de diagrammes. L'idée de propriété invariante permet de prouver que certains noeuds sont différents ; l'exemple de la "tricolorabilité", ici illustré, permet de prouver que le noeud de trèfle ne peut se réduire à une simple boucle...] |
Sommaire |
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appellent un "demi-noeud" (note 1) } |
des marins }
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et fixez les deux bouts ensemble : |
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le "demi-noeud des mathématiciens", il est appelé "noeud de trèfle" } |
sont, par définition, des exemplaires du même noeud. |
On appelle noeud trivial un cercle non noué. |
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Quels noeuds est-il possible de "dénouer", c'est à dire de transformer en noeud trivial ?
Toute transformation continue, qui ne coupe pas la ficelle, est permise (la ficelle est supposée élastique).
[Comme indiqué plus haut, de telles transformations ne changent pas le noeud , au sens mathématique du terme.
Mais ... Comment reconnaître qu'un noeud (mathématique) est trivial ? ... that is the question !].
Dès 1771, Alexandre-Théophile Vandermonde mentionne les noeuds dans son mémoire "Sur les problèmes de situation" (réf. 7). Après lui, le premier mathématicien à s'intéresser aux noeuds serait le mathématicien allemand Karl Friedrich Gauss (1777-1855) (réf. 4) [... note 2].
La théorie combinatoire des noeuds, qui a beaucoup progressé au XXème siècle. s'intéresse aux propriétés des diagrammes de noeuds, c'est à dire aux dessins obtenus en projetant le noeud sur un plan et en marquant clairement en chaque croisement quel brin de ficelle passe au-dessus et quel brin passe au-dessous. |
{Figure 4 : un diagramme de noeud} |
Le premier a avoir tenté une classification systématique des noeuds est Peter GuthrieTait (1831-1901) [réf 6 et note 3]. Il a introduit plusieurs concepts qui sont encore utilisés aujourd'hui, Le plus important d'entre eux est sans doute le nombre de croisements d'un noeud. Il est défini comme étant le plus petit nombre de croisements d'un diagramme représentant le noeud.
Le nombre de croisement du noeud trivial est 0. |
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Il y a un seul noeud à 3 croisements, |
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{Figure 5: un diagramme du noeud de trèfle} [pour une image "en relief" : voir note 5] |
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{Figure 6: un diagramme du noeud de huit} |
Comment décider si deux diagrammes différents correspondent au même noeud ?
D'une certaine manière, Kurt Reidemeister a apporté une solution à ce problème.
Théorème de Reidemeister [2] Deux diagrammes définissent le même noeud si et seulement si on peut passer de l'un à l'autre en utilisant un nombre fini de fois les opérations (I) (II) (III). |
[Figure 8 : croisement en boucle] [suppression ou création] |
[Figure 9 : croisements jumeaux ] [suppression ou création] |
[Figure 10 : glissement d'un brin ] [nombre de croisements constant] |
[Exemple : malgré les apparences, le noeud de la figure 4 n'est pas un noeud de huit mais ... un noeud de trèfle !
On peut le montrer en passant du diagramme de la figure 4 au diagramme de la figure 5 par une succession de mouvements de Reidemaster ]
Malheureusement, ce résultat est essentiellement théorique : on ne sait pas combien de fois on doit effectuer ces opérations ! [note 7].
Le théorème est néanmoins très utile, comme on va le voir.
Le noeud de trèfle ne se dénoue pas
Nous allons montrer que le noeud de trèfle ne se dénoue pas [note 8].
Invariants
Pour aborder des problèmes de classification, les mathématiciens utilisent souvent des invariants. Un invariant de noeud est un objet [du type fonction] qui ne dépend que du noeud et non de la manière que l'on a de représenter le noeud, [la valeur de l'invariant est la même pour tous les diagrammes d'un même noeud.]
Tricolorabilité
L'un des invariants des plus simples, défini par R. H. Fox [réf. 3] est donné grâce à la notion de tricolorabilité.
On dit qu'un diagramme de noeud est tricolorable si l'on peut le colorier en utilisant trois couleurs au plus en respectant les quatre règles suivantes.
- (1) Chaque brin [portion de ficelle comprise entre deux croisements] est coloré avec une seule couleur.
- (2) Lorsqu'un brin passe au dessus d'un croisement, le brin qui le prolonge est de même couleur.
- (3) A chaque croisement, soit une seule couleur est présente, soit les trois couleurs sont présentes.
- (4) Sur les trois couleurs, on en utilise au moins deux pour colorier le diagramme.
On peut montrer que la propriété de tricolorabilité est préservée par les mouvements de Reidemeister.
[Théorème de Fox]
La propriété de tricolorabilité est préservée par les mouvements de Reidemeister.
[Voir une démonstration en annexe 2 ]
- Le noeud de trèfle est tricolorable. [note 9]
[au choix près des couleurs, la tricoloration du diagramme ci-contre est unique][Figure 11 : tricoloration du noeud de trèfle]
- Le noeud trivial n'est pas tricolorable.
[les règles (1) et (4) ne peuvent
être satisfaites en même temps.][Figure 12 : Une seule couleur possible pour le noeud trivial]
Il en résulte que le noeud de trèfle ne se dénoue pas (et donc que son "nombre de croisement" est effectivement 3 !).
[Théorème ]
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[Et le noeud de huit ?]
Le noeud de huit n'est pas tricolorable.
La propriété de tricolorabilité permet donc de prouver que le noeud de trèfle et le noeud de huit sont différents.
{ voir une preuve illustrée en annexe 2 } .
La propriété de tricolorabilité est un invariant utile, mais très faible : il ne sépare les noeuds qu'en deux classes. Il nous dit que le noeud de trèfle est différent du noeud trivial et du noeud de huit, mais ne nous dit pas si le noeud de huit est différent ou non du noeud trivial.
Le noeud de huit est-il dénouable ?
Non ... mais pour le prouver, on doit faire appel à d'autres types "invariants" [note 10].
Une des démarches [typique] de la théorie des noeuds est de chercher des invariants de plus en plus puissants. L'idéal serait de trouver un invariant complet, c'est à dire qui permettrait de distinguer tous les noeuds... [note 11]
Références
[1] J. W. Alexander,
Topological invariants of knots and links, Trans. Amer. Math. Soc. bf
60 (1928), 275-306.
[2] E. Bayer-Fluckiger, La théorie des
noeuds, in L'université de tous
les savoirs, Odile Jacob, 2002.
[3] R.H. Fox, A quick trip through knot theory, in
Topology of 3-manifolds and related
topics, Prentice-Hall, 1962,
120-167.
[4] K.F. Gauss, Zur mathematischen Theorie der
electrodynamischen Wirkungen, manuscrit, publié dans
Werke,
Vol. 5, Königl. Ges. Wiss. Göttingen, 1833, 605.
[5] K. Reidemeister,
Knot theory, Chesea, New York,
1948.
[6] P.G. Tait, On knots, I.II.III.,
Scientific Papers, Vol I., 1898, 273-347
[7] A.-T. Vandermonde, Remarques sur les
problèmes de situation, Mémoires de l'Académie Royale des
Sciences, Paris, 1771, 566-574.
note 1. Pour un petit aperçu des noeuds marins courants : http://www.sud-voltige.com/noeud-marin/f_noeud.htm
La tradition celtique
est Les diagrammes celtiques
offrent Voici deux beaux
exemples, |
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note 2. Pour un développement historique et d'autres références voir la conférence de l'auteur à l'Université de tous les savoirs (réf. 2).
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note 3. La table de Tait [pour une version moderne voir table de noeuds] ne distingue pas entre un noeud et son image dans un miroir (obtenue dans l'espace par symétrie par rapport à un plan). Un noeud et son image miroir ont même nombre de croisement mais ne sont en général pas équivalents : un noeuds non équivalent à son image miroir est appelé noeud chiral (du grec chiros = main).
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note 4. Au sens strict il y a non pas un noeuds de trèfle mais deux, qui sont des images-miroir l'un de l'autre. Ils sont représentés ci-contre. Autrement dit (cf. note 3), le noeud de trèfle est chiral. (Savoir prouver une telle propriété demanda plusieurs décennies !). |
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note 5. M. Mollard et C.Payan ont construit en 1997 un joli stéréogramme du noeud de trèfle, qui permet de le voir en relief.
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note 6.
A la différence du
noeud de trèfle, le noeud de huit n'est pas
chiral On peut en effet montrer que les
deux |
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a) En dépit des apparences, chacun des noeuds montrés ci-contre est "trivial". peuvent être dénoués. Voyez-vous comment ? ) |
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[extrait de R.G. Scharein, op.cit] |
b) C'est seulement en
1974 |
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note 8. Comme on le verra plus loin, il n'est pas nécessaire ici de distinguer entre noeud de trèfle "à gauche" et noeud de trèfle "à droite" (cf. note 4). Les raisonnements sont présentées ici pour le noeud de trèfle à gauche (cf. note 4), mais pourraient tout aussi bien s'appliquer au noeud de trèfle à droite (voir aussi la note 9).
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note 9. Autrement dit le noeud de trèfle admet un diagramme tricolorable ; en vertu du résultat précédent, tous les diagrammes du noeud de trèfle sont également tricolorables. L'illustration en est donnée ici avec le noeud de trèfle à gauche (cf. note 4), mais le noeud de trèfle à droite est également tricolorable. Plus généralement, comme le lecteur pourra le prouver, l'image miroir d'un noeud tricolorable est tricolorable.
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note 10. Certains polynômes , associés aux noeuds, fournissent de tels invariants. Le polynôme d'Alexander par exemple, introduit en 1928 (réf. [1]) permet de distinguer le noeud de huit du noeud trivial.
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note
11. Plusieurs groupes
MATh.en.JEANS de collège ou lycées sont
intéressés aux noeuds, ou plus
généralement aux entrelacs (ensemble de plusieurs
noeuds entrelacés). Voir par exemple :
Les noeuds, par E. Akbaraly & al., Actes MATH.en.JEANS 1997,
MATh.en.JEANS éd., Paris 1998, pp. 213-217. (version
pdf)
Zéliges, par F. Ashraf & al., Comptes Rendus MATH.en.JEANS n°99.09, site http://www.mathenjeans.free.fr, Paris
2002.
Noeuds, par P. Abrial & al., Comptes Rendus MATH.en.JEANS n°99.11, site http://www.mathenjeans.free.fr,
Paris 2002. (version
pdf)
La recherche d'invariants joue un rôle
très important en mathématiques. Pour une
présentation générale de l'idée
d'invariant avec des exemples en géométrie,
voir :
Anne Quéguiner-Mathieu, Zoologie
mathématique, Comptes Rendus MATH.en.JEANS n°99.12, Site MATh.en.JEANS, Paris 2002.
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NOEUD NOEUD TRIVIAL NOEUD DE TRÉFLE NOEUD DE HUIT INVARIANT MATHÉMATIQUE SYMÉTRIE COLORATION DIAGRAMME D'UN NOEUD BRIN CROISEMENT MOPUVEMENTS DE REIDEMASTER
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